Berliner Ensemble
Denis Thouard & Marion Picker

[Fotos : Lisa-Oriane Crosland/CESCM Université de Poitiers]
Das Ensemble ist eines aus Gedichten, die über einen längeren Zeitraum hinweg versuchen, einen Teil der turbulenten Stadt einzufangen. Die Koordinaten des sich wiederholenden Jahres in seinen Metamorphosen helfen dabei, den Blick auf einen Raum zu stabilisieren, der unaufhörlich zerfällt und sich wieder neu zusammensetzt. Dies ist kein Zugeständnis an die ökologische Gunst der Stunde, sondern die Erfahrung einer Stadt, die mehrfach zur Natur zurückgekehrt ist, deren unglaubliche Ausdehnung Wälder und Seen verschlang und die in ihren Vorstößen von der Geschichte abgeblockt wurde. Sie bewahrt eine ungebändigte Wildheit selbst im Zentrum ihrer großen Maschinerie. Hier grüßen wir brüderlich die gewöhnlichsten Orte, zeichnen einige Wegstrecken durch die Epochen und städtischen Schichten, oder geben uns auch manchmal mit Regen oder einfach Schnee zufrieden.

Der Vers durchquert die Jahreszeiten, die Viertel der Stadt, die Echos ihrer Geschichte. Bei seinem Wühlen in der Erde erkennt er Spuren, die er in einem Lied zu vereinen sucht. Er durchquert diese historischen Fragmente, die nicht in einer Masse aufgehen wollen, um sie zusammenzunähen, zusammenzufügen.

Der Weg dieses Verses ist unterirdisch. Das Unerwartete der reinen Begegnung setzt ihn frei. Die poetische Wanderung geht hier, ohne Programm, über das umgrenzte Umfeld eines einzigartigen Ortes hinaus. Die Emotion entsteht an den Rändern einer verstörten Vertrautheit und einer unaufhörlich hinterfragten Form.

Beteiligte (Lektüren): Denis Thouard, Laia Alme, Fosca Mariani Zini, Irénée Thouard, Marion Picker.
Die Texte werden im Mai 2023 im Band Berliner Ensemble im Circé Verlag erscheinen.
Le jour de la mort de John Le Carre

Text

Le jour de la mort de John Le Carré

L’éblouissement hivernal se peut trouver
Loin des quartiers mal reconstruits, des tours
Pointant d’absurdes têtes au milieu de déserts,
D’espaces interstitiels où viennent se loger
Des hangars et des halles, des entrepôts.
Loin des gares populeuses, loin des briques
Des églises néogothiques,
Loin des façades décorées, gâteaux de noces,
Aux pastels provoquant le dur hiver, le vent.
Loin des allées soignées sous les tilleuls,
Les robiniers. Mais près des pins,
Des parcs aux arbres choisis
Aristocratiquement, dans les jardins.

Plus encore : là où fut
La limite des mondes, le tracé indécis,
Imprécis au début, séparant les communes
Limitrophes et soudain éloignées. Le partage
Des eaux baignant les joncs sauvages,
Repères des cols verts, ordinaires
Voisins de prétentieux
Prétendus paons. Dans la fausse
Chaumière élisabéthaine, ce cottage
Donnant sur l’histoire du monde,
Ont joué les arpenteurs. Au centre
De la séparation la suspension
Aérienne, acier jeté
Désespérément de l’autre côté, accord
Des puissances, qui ne tient qu’à un fil.
Réunion à huis clos : on ferme.
Séparation durable.

Le pont n’offre pas d’illusion.
Pas d’autre monde où l’on s’embarque
Pont sans Cythère.
Pont austère.
Pont de la disjonction, pont des secrets,
D’adieux refoulés sans poignée de main,
Pont sans étreintes, sans au revoir :
Pont, invisible mur.

Pendant que glissaient les eaux du canal
Se perdant avec la Havel,
Que la glace avait figé tout contact
Stupéfiant d’effroi les espions du froid,
Passait incognito, involontaire,
Innocent du trafic si politique,

Sans papiers, par la bande,
Un vers, ma contrebande.

27.12.20

Délaissement

Text

Délaissement

Dimanche au Müggelsee.
Une odeur de muguet et de sueur
Flotte autour du lac rond
Que des familles trainant carrosse
Parcourent en gémissant.

Un printemps devancé :
Il fait si chaud déjà.

L’ancienne brasserie n’accueille plus la soif
Des promeneurs. Des enfants courent
Et piaffent. Des ventres passent
Cherchant la bière. On parle. L’œil
Se pose un temps sur la surface plate
Que vient griffer parfois un bateau de plaisance.
Puis tout se cicatrise. Un banc qui se libère,
Aussitôt investi. « Faisons trois pas ! »
« Passons par le tunnel, nous voilà dans les bois ! »
La brasserie en ruine évoque un autre temps
De basilique industrielle, de foules se massant
En ces dimanches las. Et des familles dispersées
Marchant, parlent à voix basse, presque désespérées.


28.11.20

Retour au Rococo

Texte


Retour au Rococo


La silhouette enfin ressurgie
Dans les chantiers démocratiques
Restaure un passé englouti
D’avenir aristocratique

Un pas en avant
Et deux en arrière

La croix est bien sur la coupole
Tout revient enfin à sa place
Pourtant ton apocatastase
O Berlin paraît bien frivole

Un pas en avant
Et deux en arrière

On bâtit un château de cartes
Qu’on a sans cesse rebattues
On fabrique une Postkarte
On l’envoie comme un déjà vu…

Palais, châteaux
Plattbau, chaumières.
Quelle âme est sans défaut ?
Quelle ville sans misère ?

Un pas en avant
Et deux en arrière


17.10.20

Berliner Ensemble

Texte

Berliner Ensemble

In memoriam Bruno Ganz

Un dernier sourire, un apprentissage
De la délicatesse exposé au public.
Une démonstration du charme
De savoir trébucher aussi.
D’être soi, d’être ému, sympathique et timide.
Ce bis non préparé d’une dernière histoire
D’amour – lue dans Robert Walser,
Absent et tendre, infiniment présent.
Du parterre au balcon les yeux les ouïes plongeaient
Sur le rond de lumière et la petite chaise.
Simplement un lecteur, de tout petites
Histoires de rien du tout, d’amour !
À peine un verre à sa portée.
Tous buvaient ses paroles. Flottait alors
Un esprit dans la salle.
Mais tout succès a son revers, car tant
Acclama la foule spectatrice, avide à sa façon,
Qu’il fallut bien se lancer dans un bis :
Une dernière histoire avant de repartir…
Et bredouiller un peu : il n’avait pas pensé
À un tel engouement lui sur sa chaise assis
Tout simplement assis un soir, dans un théâtre, seul.
Unissant la magie à la fragilité.


16.11.20
Le lieu où lire

Text

Le lieu où lire

Si l’on devait partir pour lire ce serait
Au coin des bois touffus vers les futaies
En marge des forêts traversées de grands arbres
Mais près des eaux là où l’herbe invitante
Permet à la fatigue enfin de s’accepter

Une fois traversée la forêt Grunewald
On descend dans l’à pic au long de la chaussée
Alors tout près de l’eau et enfin déchaussé
L’orteil déjà se mouille au bout du corps dormeur
Un vent traverse aussi le rivage les voiles
Au loin se croisent et si décline le soleil

On peut tout allongé lire les pieds dans l’eau
La tête à l’air lointaine et quelque peu
Rêvassante pendant qu’autour butine
Un bourdon travailleur

Que le ciel un instant se retient
Suspendu au-dessus des airs

La page disparait dans le vide flottant
Puis se marque à nouveau imperceptiblement
Une vague venue de loin émeut la rive
L’œil sait que c’est soudain un autre livre


23.06.22
Berlin court

Text

Berlin court

L‘essaim est regroupé près du château :
On piétine, on trépigne. Enfin vient l’heure
D’aller, chacun vaquant à son bonheur.
Les papillons s’élancent. Il est bien tôt.

La masse court et peu à peu s’étire
Elastique en poussant vers la Sieges-
Säule. Le public applaudit les zigs.
On longe encore un peu le vert de Tier-

Garten. La troupe arrive au zoo. Dociles
Voyant passer le troupeau bigarré
Lamas, rhinocéros, zébus voient-ils

En eux quelque espèce désorientée
Courant éperdument en plein été
Pour retrouver son animalité ?


08.08.21
Plötzensee

Text

Plötzensee

Lac bien caché
Près du canal

Immense halle
Les abattoirs

Entre les murs
De la prison

Soudain

Les petites briques du martyr


07.11.20
Estate

Text

Estate

Sus aux bouleaux folâtres
Entre les palissades

Commençons par creuser
Quelques niveaux sous terre

Puis plantons du béton
À l’assaut du ciel vide

C’est à tempérament
Bientôt parti déjà

Les friches folles
Bureaucratisent

Les filles folles
Migrent ailleurs

La rue se ferme
L’ombre descend

Oiseaux chassés
Rats arrivés


07.11.21

Promenade inopinée le long de la Spree, septembre

Text

Promenade inopinée le long de la Spree,
septembre


Abrité par un trop fragile parapluie
(de ceux que vent emporte et se retournent et n’offrent
que très incidemment protection au marcheur).
Engouffré dans le train de ville qui bientôt
Inexplicablement s’arrête tout d’un coup :
Ne reste plus alors que prendre en descendant
Les quais longeant la Spree et leur pavé luisant,
Affronter les eaux drues et suivre la boussole
Du Bode Museum, pour, devant Pergamon,
Croiser le directeur du Musée, lui jonglant,
Une main à son parapluie, l’autre au portable.
Traverser maintenant le chantier du Château
Et chercher un passage en cette mer hostile.
Se faufiler parmi la boue, les palissades,
Découvrant le quartier Nicolaï, enfin l’île
Des pêcheurs : et bientôt voici que se profile
La massive maison chinoise : l’ambassade.
Un dernier pont où se réveille tendrement
Un couple polonais sortant d’une péniche
Partageant à la hâte un peu d’intimité
Matinale. Mais le retard fait que l’on presse
Le pas sur le trottoir entre-temps asséché :
Et nous voilà, pas trop tardif – Cœur haletant.

09.19/08.20/25.09.21
Deko Behrendt

Text


Deko Behrendt

Alors que les rues, que les magasins
Se peuplent de masques, alors que Berlin
Devient anonyme et ne reconnait
Sous tous les chapeaux plus le moindre nez,

Que sous les manteaux sont les automates
Passant dans la rue, spectres qui se hâtent,
À rentrer chez soi. Au temps des citrouilles
Qui devrait ravir, vient soudain la trouille :

Du sucré ou pas ? bandes de gamins
Qui font la sorcière en tendant la main
Vont sonner aux portes, sur eux que l’on claque.

Plutôt âpre et gris, l’automne est bien terne :
Tous sont masqués, mais Deko Berendt ferme
Et les passants n’évitent plus les flaques.


17.10.20
Tombeau de Tegel

Text

Tombeau de Tegel

Voilà : Tegel
Replie ses ailes
Pour toujours.

Plus d’envolées,
Plus d’embrassades.
Plus d’amour.

Voilà : le ciel
Se fait maussade
Se fait lourd.

Se ramenuise
Se rapetisse
En ce jour.

Plus de Tegel,
De TXL.
En allés.

Restent le lac
Et la prison.

Et reste le château
Des quatre vents,

Redevenu château
De l’ennui.
Prenzlauerberg, avant

Text

Prenzlauerberg, avant

Feuilles glissantes,
Pavés luisants,
Air épaissi par le charbon.

Monter vers Schönhauserallee
En venant d’Alexanderplatz.

On discute
En privé.

Un tapis, des coussins,
La table pour le thé.

Un peu de politique :

Le monde soviétique
Doucement
S’assoupit.

On signale
Quelques livres.

Grands yeux écoutent
Les bruits du monde.

Est-on venu pour discuter
Du pouvoir enfin vacillant ?

Ou ne serait-ce pas
Quelqu’autre tremblement
Qui nous a attiré ?


02.04.22