Les frontières selon Instagram
Telmo Menezes et Camille Roth

Découvrir des espaces et des échelles géographiques
"naturels" à l'aide des données d'Instagram

Comment cartographier l'espace par le biais des mouvements quotidiens des individus qui l'habitent ? Peuvent-ils révéler des régions naturelles ou des "quartiers" de vie ? Instagram est surtout connu comme un réseau social de partage de photos, mais celles-ci sont souvent géolocalisées – traçant ainsi les positions successives de leurs auteurs, qui permettent ainsi de relier divers emplacements géographiques. En pratique, nous avons collecté des millions de photos, à l'échelle de plusieurs pays et de plusieurs métropoles, afin de construire des graphes connectant les lieux en fonction du nombre d'utilisateurs qui y ont conjointement été présents. À l'aide d'une méthode de regroupement statistique dénommée "détection de communauté", nous avons ensuite utilisé ces graphes pour partitionner les espaces géographiques en régions au sein desquelles les utilisateurs ont tendance à évoluer le plus fréquemment.

Nous avons validé notre méthode en tentant de diviser la Belgique en deux régions. La partition obtenue correspondait exactement aux deux grandes communautés linguistiques du pays (francophone et néerlandophone). Néanmoins, cette partition dépend-elle de l'échelle spatiale considérée et reste-t-elle stable si l'on étudie d'autres échelles de déplacement, par exemple à plus courte distance ? Au contraire d'une large partie de la littérature, qui supposait que les mouvements humains ne dépendent pas de l'échelle considérée, nous avons fait une observation surprenante : en augmentant progressivement l'échelle spatiale à laquelle opèrent les mouvements, nous avons trouvé un petit nombre de partitions typiques (entre deux et trois). Autrement dit, la partition obtenue reste relativement constante sur un petit nombre d'intervalles d'échelles spatiales tout en subissant de fortes transitions de phase entre ces intervalles. Une transition de phase est une idée issue de la physique où le changement linéaire d'une variable conduit à une discontinuité soudaine (par exemple : l'eau qui gèle). Nous vous invitons à observer les échelles naturelles des partitions liées aux déplacements humains pour différentes villes et différents pays.

Ce travail a été publié dans la revue "Scientific Reports" en 2017.
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Paysages sonores générés à partir d'enregistrements de terrain effectués par l'auteur dans les rues de Berlin. Une tentative de représenter des "zooms arrière" auditifs sur les interactions humaines, ainsi que des niveaux d'abstraction croissants. Sons superposés et synthèse granulaire, composés sur Ableton Live.